Installée dans mon fauteuil, je parcours les récits de mon arrière grand-père sur ses aventures d’autrefois. Quelque chose attire mon regard. Un dessin, un croquis, d’une boule en verre remplie d’eau et de glaçons qui goutte sur une boisson étrange surmontée par un sucre. C’est à la fois intriguant et attirant, qu’elle est cette chose qui m’est inconnue ? En ni une, ni deux, je décide d’aller chercher dans Lyon un endroit où trouver ce genre d’objet, et pour dénicher des vieilleries, quoi de mieux que l’Antiquaire ?
L’Antiquaire
Il est 19H30, c’est l’heure bleue, et les lumières douces s’allument peu à peu dans Lyon. Suite aux conseils de quelques amis, je me dirige vers l’Antiquaire, un bar caché dans une petite ruelle non loin de l’Hôtel de ville. Une fois devant les lieux, je suis accueillie par un serveur à l’air sérieux et sobrement vêtu, qui m’installe dans le bar. Celui-ci est presque vide, on sent qu’il est mardi car l’intérieur est froid et silencieux. La lumière est tamisée, j’avance dans l’allée centrale tout en observant les vitrines d’alcool et les vieilles affiches Martini.
On remet au goût du jour les cocktails d’antan
Je suis sur la bonne voie, l’ambiance, qui me donne des frissons est extrêmement intimiste, il y a même un couple derrière moi qui se parle à voix basse, en susurrant des mots doux et en se lançant des regards sensuels. J’imagine leur histoire, une retrouvaille interdite ? Un amour impossible ? Ou tout simplement un couple qui apprécie passer un moment à l’ancienne, au calme et en dégustant un cocktail. Je ne perds pas de vue ma quête, je veux trouver cet objet qui m’obsède comme si c’était un trésor de famille. Je m’aperçois vite qu’ici, on ne remet pas des meubles en état, on ne chine pas et on n’achète pas des vieilleries, mais on remet au goût du jour les cocktails d’antan. Bref, assez parlé, il fait soif. Je commande donc un premier cocktail, le « Crab Key », que je déguste immédiatement après sa confection à cause de sa recette tant alléchante. Ce cocktail me réchauffe et enlève le soupçon de timidité qu’il y aurait pu avoir en moi. Je décide de changer de place, et de percer ce mystère tant attendu, en demandant aux professionnels de me guider.
Ce n’est plus l’heure bleue, mais l’heure verte
Après des heures de discussions intéressantes, je digère ces échanges avec un petit digestif nommé « The Last Word » – on aurait pu croire que le serveur me trouvait trop bavarde – mais on en vient finalement à la réponse tant souhaitée. Avant de vous révéler ce secret de famille qui m’a hanté pendant si longtemps, (bon, quelques heures seulement) il faut que je vous plante le décor, car celui-ci a changé. Ce n’est plus l’heure bleue, mais l’heure verte, il fait sombre, les rideaux sont clos et il ne reste deux ou trois personnes dans le bar. La nuit est tombée, et la porte d’entrée est fermée : je le sais, ce que je vais découvrir n’est plus UN mais LE secret.
On me demande si je suis prête, et après avoir lâché un « oui » déterminé, nous commençons les festivités. Le serveur attrape la fontaine à absinthe sur l’étagère, la prépare et me la met en scène. L’obscurité de la pièce fait ressortir l’aspect étrange de la boule, avec les glaçons qui flottent. Elle ressemble à celle de Madame Irma, sauf qu’au lieu de lire le futur, elle projette le passé. Tous les secrets que cette fontaine a gardé sont désormais libérés. On pose délicatement une grille en équilibre sur le verre d’absinthe, avec un sucre par dessus et on ouvre le robinet… L’eau goutte, lentement.
Le liquide devient trouble, voire blanchâtre, c’est l’effet du louchissement. J’attends la fin du spectacle pour déguster une superbe absinthe qui, sans que je m’en rende compte, absorbe mes secrets et les enferme dans la boule. C’est ainsi que cela se passait avant et la tradition se perpétue. J’enfile ma veste, je me lève, un peu vidée et étrangement calme. J’ouvre la porte et profite du vent frais sur mes joues, je salue une dernière fois le pingouin et je m’en vais en marchant sur les pas de mon arrière grand-père.